« Possunt, nec posse videntur »
"Ils peuvent et ne croient pas pouvoir"
Virgile : l'Enéide, livre V, vers 231
Chers amis de l’AGIVR,
Elèves de l’IME, familles et collègues,
J’ai tout d’abord un immense merci à vous adresser à tous au
terme de huit années de travail d’ « instit » parmi vous. Huit
années riches d’émotions, de belles rencontres, de projets, d’aventures même,
car l’éducation et la pratique pédagogique tiennent leur noblesse de cette
nécessité d’oser ensemble, sans garantie ni assurance sur les résultats, à
moins de quoi tout serait réduit au plus vil dressage. Huit années durant
lesquelles vous m’avez beaucoup appris. Du petit conciliabule en classe avec
les élèves autour des mystères des lettres et des chiffres aux élaborations en
équipe pluri-professionnelle en passant par les rencontres avec les parents,
tous ces échanges et bien d’autres ont alimenté un incessant questionnement
auquel fait écho la thèse[1]
dans laquelle j’ai tenté de consigner quelques éléments de réponse. Autant dire
que vous en êtes tous, à quelque égard, co-auteurs. Le 5 juin dernier, durant
la soutenance à laquelle quelques-uns d’entre vous m’ont fait l’honneur
d’assister, j’ai eu à cœur de vous rendre l’hommage que m’inspire une immense
gratitude pour vous tous.
J’ai affermi dans ce travail des convictions que la pratique
quotidienne avec les élèves des Grillons concrétisait. Au centre de ces
convictions, un postulat : l’éducabilité. Elle n’a de limite que la
difficulté de notre propre intelligence à rencontrer l’allure singulière de
l’intelligence d’autrui et à entrer en dialogue avec elle.
Cette irréductible altérité confère à toute personne « une
signification telle qu'elle ne peut être remplacée à la place qu'elle occupe
dans l'univers des personnes. Telle est la magistrale grandeur de la personne,
qui lui donne la dignité d'un univers », écrivait Emmanuel Mounier. La pédagogie est
ainsi un désir insatiable de dialogue des âmes. D’ailleurs, pour Simone Weil,
« l’intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu’il y ait
désir, il faut qu’il y ait plaisir et joie. L’intelligence ne grandit et ne
porte de fruits que dans la joie. La joie d’apprendre est aussi indispensable
aux études que la respiration aux coureurs. »
Avec ma collègue Cécile qui porte fermement ces
convictions, d’autres enseignants continueront parmi vous à tenir leur place de
guetteurs et d’éveilleurs du désir d’apprendre selon la mission d’instruction
de tous ses enfants confiée par la République à son Ecole.
En effet, ce qui fonde le droit de tout enfant à l’éducation
et à l’instruction, ce n’est pas seulement la demande de ses parents. Pour le
dire même un peu crûment, notre action d’éducateurs, d’enseignants, n’est pas
une réponse à leurs attentes si légitimes soient-elles. Notre mission est
enracinée dans la commande que la Nation fait à son école. Elle tient de cela
sa nécessité et sa légitimité.
J’y insiste car j’observe un risque qui se développe à mesure qu’en France on tente
de progresser vers la scolarisation pour tous : à la différence des autres
élèves, les élèves en situation de handicap ne semblent devoir leur place dans
une classe qu’à la vigueur de la demande exprimée par leurs familles. Pour eux,
et pour eux seuls, il semble qu’on réponde de plus ou moins bon gré à une
revendication. Or, pour tous les autres élèves, ce qui motive qu’on les
instruise, c’est d’abord la nécessité sociale de transmission des savoirs, des
savoir-faire et de la culture d’une génération à une autre afin d’assurer la
pérennité et la régénération du corps social. Alors, il faut poser la
question : les élèves en situation de handicap seraient-ils
surnuméraires ? serait-il optionnel de les instruire ?
Dans une société où toute la mesure de l’homme est basée sur
sa performance économique, sa rentabilité, sa productivité, les individus
vulnérables courent le danger d’être considérés comme des « poids inutiles
sur la terre [2]». Afin de
les préserver des aléas de la bonne volonté sociale, laquelle peut
dangereusement fluctuer au gré des vents idéologiques et de l’invocation des
contraintes économiques, il est impératif d’inscrire l’éducation des élèves en
situation de handicap dans le marbre du projet de société. Il faut se
convaincre et convaincre de cette absolue nécessité : la société a besoin
d’eux. Chacun d’eux apporte à la vie commune ce que personne d’autre à sa place
ne peut apporter. Voilà à mes yeux la première raison de désirer bâtir une
société inclusive, car, comme l’écrit Charles Gardou[3],
« il n’y a pas de vie minuscule ». Cette raison-là surpasse toutes
les autres, elle s’enracine dans les vertus républicaines d’égalité et de
justice. Les attentes des familles, l’engagement militant, le sentiment
personnel, lui apportent un soutien certes utile mais de second ordre. Pour ma
part, je n’ai eu d’autre raison d’exercer mon métier d’instituteur aux Grillons
que celle de contribuer à donner à la société les jeunes citoyens le mieux
instruits possible et de permettre à ces derniers d’y tenir leur juste place.
Enrichi de cette expérience et de ces convictions, je pars
maintenant enseigner à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) pour former des
enseignants spécialisés[4].
J’y apprendrai sans doute encore beaucoup au contact d’une culture certes francophone mais à bien des
égards différente. En effet, apprendre est pour moi la première compétence
professionnelle nécessaire à un enseignant. J’emporte pour cela dans mes
bagages et dans mon cœur le meilleur viatique qui soit : mes souvenirs de
vous tous.
Très cordialement
Jean Horvais
[1] Accessible à
cette page de mon site personnel :
[2] "Sunt
pondus inutilae terrae" Ils sont le poids inutile de la terre. Juriste
lyonnais XVIème s.
[3] Gardou,
Charles. La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule. Ed. Eres. Toulouse. A paraître, nov. 2012
[4] Je
travaillerai plus particulièrement dans le service CERFA, voir :
http://cerfa.uqam.ca/cerfa/?q=accueil
ET COMME TOUT FINIT PAR DES CHANSONS, Z'ONT ECRIT DES CHANSONS MES ELEVES (ET MES COLLEGUES ;-))
ET COMME TOUT FINIT PAR DES CHANSONS, Z'ONT ECRIT DES CHANSONS MES ELEVES (ET MES COLLEGUES ;-))
bonsoir Jean,
RépondreSupprimerJe suis contente pour vous que vous alliez enseigner a Montréal.
Vous allez quitter la France ,et je pense que beaucoup vont vous regretter.
Je vous souhaite bonne chance et vous dis a bientot j'espere que nous resterons en contact malgré la distance.
Avec toute mon amitié.
Jeanne-Marie